Le travail en crise : des chiffres et des causes

Publiée le 27 avril 2023 - Mise à jour le 28 avril 2023

© Julian Renard

Derrière la mobilisation contre la réforme des retraites s’exprime un malaise vis-à-vis du travail : ascenseur social bloqué, crainte du déclassement, pénibilités physiques, mais aussi psychologiques… Les maux sont légion, accentués par des mesures qui, depuis une vingtaine d’année, freinent la hausse des salaires.

En 2019, l’enquête française sur les conditions de travail révélait que 37 % des actifs français en poste jugeaient leur travail « insoutenable ». Deux ans plus tard, la situation ne semble pas avoir changé :

  • 38,7 % affirment que leur santé ou leur sécurité est menacée à cause de leur travail, c'est bien plus que la moyenne des pays de l’Union européenne (34,2 %) ;
  • 20 % déclarent devoir travailler sur leur temps libre et 37 % en étant malade ;                                            
  • 45,1 % des Français actifs en poste déclarent être bien payés pour les efforts fournis, contre 68 % des Allemands et 65,5 % des Danois.

"Galérer encore plus que ses aînés"

Les chiffres ne manquent pas pour dresser le constat d’une relation au travail abîmée : pénibilités insuffisamment considérées, insécurité de l’emploi et craintes quant à l’avenir ou manque de reconnaissance… Et ce alors même que se dessine l’obligation de travailler plus, sans que les salaires ne suivent.

Une inadéquation ressentie par Célia, 27 ans, Vitriote et caissière qui partage son impression de "galérer encore plus" que ses aînés.

Idem du côté de Marlène, employée dans une association : "mon père a gardé son travail à vie, a pu mettre de côté, devenir propriétaire, quand moi j’enchaîne les CDD à 35 ans".

Quatre exemples de mesures qui freinent la hausse des salaires

Les causes de ce malaise sont multiples : l'évolution du marché de travail au sein duquel le diplôme ne conditionne plus forcément le niveau de salaire, mais aussi des mesures qui, d’année en année, ont contribué à dégrader les conditions de travail.  

  • Fin de l’échelle mobile des salaires

Introduite en juillet 1952, mais supprimée en 1982, l’échelle mobile des salaires permettait d’augmenter les salaires en fonction de l’augmentation des prix pour préserver le pouvoir d’achat.

Pour l’année 2023, malgré le panel d’aides mises en place par l’État et à cause de la forte inflation estimée entre 5,5 % et 6,5 %, le salaire réel des Français devrait baisser de 130 à 364 euros en 2023, d’après l’Observatoire français des conjonctures économiques.   

  • Exonérations de charges fiscales sur les bas salaires 

Mises en place pour la première fois en 1993, les exonérations de charges sur les bas salaires sont censées encourager les entreprises à recruter. Elles ont toutefois un effet pervers reconnu par les économistes qui dénoncent des "trappes à bas salaires" : les entreprises freinent l’évolution des salaires pour rester dans les seuils défiscalisés (jusqu’à 2,4 fois le SMIC). En 2015, la Cour des comptes dénonçait ainsi le tassement de l'échelle des rémunérations autour du SMIC.

De plus en plus, des dispositifs ponctuels, comme les primes, prennent le pas sur la hausse des salaires.

Au total, la moitié des employés du secteur privé et des entreprises publiques gagnent moins de 2 005 euros net par mois et 80 % moins de 3 000 euros, d'après une étude de l'INSEE d'avril 2022.  

  • Moindre rémunération des heures supplémentaires

La loi travail d’août 2016 a amoindrit la rémunération des heures supplémentaires : jusqu’alors majorées jusqu’à 50 %, elles ne le sont désormais qu’à 25 %, voire 10 % en cas d’accord d’entreprise. 

  • Gel du point d’indice

Du côté de la fonction publique, le point d’indice était gelé depuis 2010 avant d’être enfin revalorisé de 3,5 % à l’été 2022, sur fond de mobilisation sociale.

Il n’en reste pas moins qu’en vingt-deux ans, le point d’indice a perdu 17,6 % de sa valeur, d'après l'INSEE.

Des travailleurs sous pression

À cela s’ajoute d’autres mesures subies par les travailleurs et les demandeurs d’emploi. Citons par exemple :

  • la procédure de licenciement économique assouplie et facilitée par la réforme du code du travail de 2017 qui permet à une entreprise de licencier ses salariés français même quand elle réalise des bénéfices à l'étranger ;
  • la réduction du nombre de critère de pénibilité passé de 10 à 6 en 2018 qui complique de fait la possibilité de bénéficier d'une retraite anticipée ;
  • la fin de l’accès à l’allocation chômage en cas d’abandon de poste prévue dans la réforme de l'assurance chômage fin 2022 ;
  • la réduction de la durée d’indemnisation des chômeurs de 25 %, issue du même texte.

Le malaise autour du travail grandit d’autant plus que, malgré l’allongement de la durée des études, le diplôme perd de sa valeur.

D’après une étude du Centre d’études et de recherches sur les qualifications, publiée en avril 2018, en 1992, 30 % des titulaires d’une licence étaient déclassés par rapport au type d’emploi qu’ils pouvaient légitimement espérer occuper une fois leur diplôme en poche. En 2022, leur proportion est passée à 50 %.

Les moins diplômés en paient le prix, les postes auxquels ils peuvent prétendre se retrouvant occupés par des personnes surqualifiées.

 

En savoir plus 
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Question/Réponse à Ludovic Lecomte, adjoint au maire chargé de la Promotion du service public

 

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