Pauline Makoveitchoux : documenter les luttes féministes

Publiée le 03 mars 2021 - Mise à jour le 19 mars 2021

Culture

FEMME EN QUESTION #1 | Chaque semaine durant le mois de mars, découvrez une Vitriote engagée.

Pour ce premier entretien, rencontre avec Pauline Makoveitchoux, activiste féministe et photographe autodidacte dont les travaux s’exposent à partir du 8 mars devant la Maison du tourisme et des projets.

Quel souvenirs gardes-tu de Vitry ?

J’y suis née il y a 34 ans. C’est dans cette ville que j’ai connu mon déclic féministe, après l’assassinat de Sohane Benziane qui nous a plongées, moi et mes amies, dans un état de terreur et d’incompréhension face à l’extérieur. C’est à cette même époque, un samedi matin, en sortant du lycée Romain-Rolland, que j’ai vu un groupe de femmes arriver. Elles parlaient fort, prenaient de la place, occupaient l’espace sonore. Elles portaient un badge « ni putes ni soumises ». C’est la première représentation du féminisme à laquelle j’ai été confrontée et qui m’a inspirée. 

  

Dans quelles actions t’es-tu engagée ?

D’abord dans l’activisme en entrant chez FEMEN en 2015, attirée là encore par ce qu’elles faisaient : prendre l’espace public et clamer leurs droits. Ensuite, j’ai créé et développé deux groupes : la Brigade antisexiste et Insomnia. Au sein de ce dernier, nous avons réalisé notre première action antiféminicides à Paris en  novembre 2016 en inscrivant sur une centaine d'abribus les noms des 100 femmes assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint au cours des douze derniers mois.

  

Pour quelles raisons ce combat contre les violences conjugales t’anime-t-il particulièrement ?

Je porte dans mon histoire personnelle un double féminicide qui m’a accompagnée depuis mon enfance dans un silence familial lourd, sans réponse. On est éduqué à porter la violence dans le silence. J’avais besoin de poser cette violence dans l’espace public et de rendre hommage aux femmes mortes dans des conditions similaires.

  

Pourquoi avoir choisi la photographie comme outil d’expression ?

C’est une passion utilisée à des fins militantes qui a réellement pris de l’ampleur avec les collages féminicides lancée par mon amie Marguerite Stern. Je suis les groupes de colleuses en Île-de-France depuis le premier jour et j’ai aujourd’hui des centaines d’archives. Il me paraît important de documenter nos luttes en gardant des traces photographiques. Quand on tape MLF ou suffragettes, on a très peu d’image de ces femmes alors que c’est essentiel de savoir qui elles étaient, à quoi elles ressemblaient… C’est d’ailleurs de ces collages que m’est venue l’idée de la série « Women are not afraid » (Les femmes n’ont pas peur).

  

Quel message défends-tu à travers cette série ?

Je prends en photo des femmes dans des postures stables, puissantes, en cassant l’injonction au sourire et les schémas esthétiques pour les représenter telles qu’elles sont, dans leur diversité. Les photos se déroulent dehors en pleine nuit, là où les femmes n’ont pas de légitimité à se trouver, encore moins seules et sans homme.

  

Quels effets ces photos procurent-elles à tes modèles ?

Je reçois énormément de message après chaque session : on m’écrit pour me dire que ça leur a fait du bien. Une femme m’a dit récemment que, lorsqu’elle se sentait mal, le fait de regarder sa photo l’aidait à reprendre confiance en elle. Pendant le shooting, une énergie particulière et unique se crée. Dans la plupart des cas, les femmes photographiées ne se connaissent pas. Elles discutent sur leur rapport à l’espace public, se partagent des stratégies d’évitement, comme les clés cachés dans la main, le fait de regarder les ombres… À la fin, certaines ressortent copines et restent en contact.

  

Et à toi ?  

Cela m’apporte beaucoup d’espoir de savoir que les femmes peuvent se fédérer pour avancer ensemble. Ce travail est bénévole, il m’enrichit beaucoup plus que si c’était un travail payé.

  

As-tu d’autres projets en cours ?

Je veux développer la vidéo et passer au documentaire pour pouvoir mettre des voix sur ce que je documente. Je veux continuer à représenter les invisibles et intervenir en banlieue, comme avec ma série les Clameuses. Et enfin professionnaliser mon travail au-delà de mon engagement pour la cause féministe. Je dois apprendre à vendre mes photos, ce qui n’est pas aisé quand on vient d’un milieu pauvre.

 

Propos recueillis par Majda Abdellah

 

Exposition
Retrouvez l’exposition consacrée au travail de Pauline Makoveitchoux devant la Maison du tourisme et des projets - 128 avenue Paul-Vaillant-Couturier  - et sur les panneaux administratifs à partir du 8 mars. 

Dossier8 mars, Journée internationale des droits des femmes

 

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